Encore un trés joli texte que je partage avec vous:
Le chat à la fenêtre par Arden
Le soleil commençait à disparaitre lorsqu’il se décida. Son estomac criait famine et il espérait trouver un p’tit quelque chose à se mettre sous les dents. Il était trop tard pour espérer glaner quelques croquettes déposées par la vieille dame ; à cette heure, la gamelle serait bien nettoyée. Une souris ou un mulot ferait bien l’affaire mais ces petits nez pointus étaient bien trop méfiants et si vifs. Un oiseau ? Un festin de roi mais c’était un rêve... Les poubelles ? Pas la peine d’y penser, il en avait fait l’amère expérience, en tombant dans le grand conteneur. Le couvercle avait été refermé, avec lui dedans ; il ne s’y risquerait plus, il avait eu une grande frayeur. Prudemment, il examina les alentours. La veille, il s’était trouvé nez à nez avec le gang des errants. Sa patte douloureuse, son nez éraflé, son oreille en lambeau et son œil fermé les lui rappelaient à chaque instant. Bon, pas de danger, aucun chat dans le coin. Il étira ses muscles fatigués tout en baillant, et s’assied sur son arrière train. Un petit brin de toilette, et hop, il reprit son tour. Sa patte était toujours raide et il avançait doucement.
Il longea un HLM et leva la tête. De son œil valide il reconnut la maison de son enfance. Oui, c’était bien sa fenêtre au rez-de-chaussée. Les rideaux étaient tirés. De son temps, quand il était le chat de la maison, ils restaient toujours ouverts pour lui. Il en avait passé du temps, derrière cette fenêtre, à guetter les oiseaux, les passants et l’arrivée de son maitre bien aimé.... C’était les années bonheur ! Pas de soucis pour trouver sa pitance, sa gamelle était toujours pleine de croquettes, de l’eau claire à volonté, un canapé ou un lit douillet, et même des jouets quant aux câlins, il en recevait plus qu’il n’en voulait...
Quand tout cela avait-il changé ? Il ne s’en souvenait plus. Un jour, une femme était arrivée puis un bébé et ensuite... des hommes avaient investi la maison, mis tous les meubles dans un grand camion - il les avait regardés de sa fenêtre - puis le camion était parti. La famille avait fait le tour de l’appartement, puis son maitre l’avait pris dans ses bras avant de sortir. Il entendait encore le tour de clé. Après, il se souvenait de l’herbe qui chatouillait délicatement ses coussinets ; de l’odeur si douce... Pour la première fois de sa vie, il sortait ! C’était un peu magique et un peu effrayant aussi, le bruit, les voitures, les portes qui claquent... mais cette odeur d’herbe fraîchement coupée, il ne l’avait jamais oubliée. Il n’avait pas prêté attention au regard triste de son maitre, ni fait attention aux paroles de sa maitresse, qu’avait elle dit ? Oui, c’était ça, "regarde, tu vois, ça lui plait. Et un chat se débrouille toujours, il garde l’instinct du chasseur... il sera libre au moins... " La liberté, il en profitait, il avait fait quelques pas sur ce doux gazon, senti les fleurs doucement bercées par le vent puis il s’était un peu éloigné pour visiter ce monde inconnu. Il avait bien entendu la voiture de son cher maitre démarrer, il en connaissait si bien le son... Un chien avait aboyé, un klaxon avait retenti. Il avait profité de l’après midi pour visiter sans jamais s’éloigner de l’entrée. Puis lassé, il est revenu sur ses pas, sous sa fenêtre et avait appelé, appelé... longtemps. Mais personne n’était venu. Il s’était glissé entre les pattes d’un habitant et avait rejoint la porte de l’appartement, le paillasson portait encore l’odeur de la maison. Il avait gratté la porte puis s’était assis et avait attendu.
Des humains l’avaient remis dehors, la porte avait claqué. Mais lui, il avait attendu le retour de son maitre. La faim l’avait poussé loin toujours plus loin. Il s’était souvent perdu, retrouvé, perdu à nouveau, chassé toujours. Il avait été chassé par les humains, pourchassé par des chats et des chiens... Même les enfants lui avaient refusé les caresses qu’il réclamait. Maintenant, il savait, l’humain, grand ou petit pouvait être cruel et il avait appris à l’éviter. Certains étaient gentils et lui jetaient un morceau de jambon ou de pain mais le matou avait appris la méfiance.
Les saisons avaient passé avec les chauds étés ou l’eau était si rare, les hivers qui lui semblaient de plus en froid... et la faim et la peur qui ne le quittaient jamais. Il avait été si beau, la fierté de son maitre bien aimé, mais le temps et les difficultés avaient fait leurs œuvres, son beau poil soyeux s’était terni, ses côtes saillaient, et il était déchiré de partout.
Il avait retrouvé son HLM. Oui, c’était les mêmes odeurs. Et cette fenêtre ! Oui, c’était bien sa fenêtre mais les rideaux étaient tirés. Il réunit ses dernières force, prit son élan et sauta sur le bord. La jardinière de fleurs s’écrasa au sol et lui avec. Il hurla sous la douleur, sa patte n’avait pas été épargnée. Et la fenêtre s’ouvrit ! Il se releva, l’espoir au cœur.
La femme vociféra et sans remord balança une casserole d’eau sur le pauvre matou. Il se sauva, entendit le coup de frein et tout s’arrêta. Il eut une pensée pour son cher maitre adoré qu’il ne reverrait plus et pour les enfants du parc qui l’avaient caressé si gentiment, quel bonheur il avait ressenti, il était prêt à leur donner tant d’amour, et la si jolie petite fille qui l’avait grattouillé entre les oreilles.... jusqu’à ce qu’une femme lui crie de ne pas s’approcher de ce chat si miteux et si sale, surement porteur de plein de maladies...
Ses ronrons, qu’il avait distribués avec tant de joie, s’étaient endormis à jamais. Oui, de l’amour, il en avait encore tellement en lui, tant à donner mais personne pour le recevoir. Avant de fermer son seul œil valide, il aperçut le rideau de la fenêtre reprendre sa place.