J ai lu ce texte sur un autre forum et je le trouve trés beau et malheureusement trop vrai et je voulais le partager avec vous:
Le vieux Prof qui savait.
Il s’étira, bailla bruyamment avant de se lever doucement. C’était l’heure, les soigneurs arrivaient, la vie reprenait.
- Salut toi bien dormi ? Pas trop raide ce matin, mon vieux Prof ? Tiens voila ton p’tit dej. La journée va être dure aujourd’hui ; hier une adoption, et aujourd’hui trois entrées fourrière ; et je te parle pas des abandons volontaires. Tu comprends ça, toi ? Non, bien sûr et c’est mieux pour toi. Tiens voilà justement le fourgon de la fourrière.
Le vieux chien qui avait englouti sa gamelle, sortit derrière le soigneur.
Bien sûr que si, il comprenait, il avait passé tant d’années ici ; avait vu tant de chiens passer la porte d’entrée et toujours plus d’entrées que de sorties, malheureusement. Il connaissait chaque rouage de cette SPA, chaque soigneur et bénévole, vétérinaire et autres... Depuis quelques années, il était en liberté totale dans le centre, accompagnait un soigneur ou l’autre et était présent à chaque nouvelle arrivée.
Après le passage obligé par l’infirmerie, le p’tit nouveau était emmené dans les box extérieurs. C’est là que le Prof intervenait et tentait de le rassurer. Tous étaient terrifiés par les aboiements incessants, les portes qui claquent, les verrous si bruyants, l’odeur de désinfectant... et surtout la peur... la peur qui rend agressif, qui transforme le caractère du si gentil chien... qui amène un stress incommensurable. Il savait le vieux Prof, il y avait plusieurs sortes de réaction, celui qui se terrait dans un coin, celui qui attendait devant la porte, et plus tard celui qui hurlerait et crapahuterait sur le grillage, se frotterait jusqu’au sang contre la porte, s’userait les coussinets à faire d’incessantes allées et venues dans son box, le stress amènerait des problèmes de digestion, de peau... Oui, le vieux prof s’occupait des entrées, ces malheureux abandonnés, et tentaient de les rassurer. Le premier chien était déjà dans un box de l’infirmerie. Il s’approcha et lui dit :
- Pleure pas petit, ça sert à rien, ici.
- Fiche moi la paix.
- Personne ne viendra pas, alors n’attends plus...
- Tu ne sais rien de ma maitresse, elle m’aime et elle va venir.
- C’est fini petit. Et tu dois l’accepter.
- Toi tu ne peux pas comprendre. Elle m’a adopté j’étais tout petit, et, depuis quatre ans, on ne s’est jamais quitté. Elle m’aime, elle me le disait tous les jours.
- Et maintenant, elle le dit à un autre ; pas vrai ?
- Non, tu te trompes. J’étais toujours là pour elle, moi. Elle partageait tout ses secrets avec moi ; quand elle était heureuse, je l’étais aussi, quant elle pleurait, je la consolais en posant ma tête sur ses genoux. Et là, elle me disait que j’étais son bébé, son chien d’amour pour toujours et jamais elle ne me laisserait.
- Oui, petit, comme nous tous. C’est quoi l’excuse qu’elle a trouvé ?
- Excuse ? Non c’est une erreur, elle va venir me chercher...
- Ouais, on pense tous ça mais c’est fini ; les jours passent puis les années et on espère toujours. Mais il faut te faire une raison petit, l’humain a toujours des excuses en réserves. Mais toi, si tu pinces le gamin parce qu’il t’a tiré la queue ou donné un coup, t’a pas d’excuse et il ne pardonne pas.
- J’ai rien fait de mal, je n’ai jamais mordu. Ma maitresse dit que je suis le meilleur chien du monde, calme et posé ; je n’aboie pas, je ne fais pas de bruit... je suis propre et super gentil avec tout le monde ; un chien en or qu’elle dit.
- Alors c’est le coup des excuses bidon, on déménage et, sans jardin il sera malheureux, le bébé est allergique aux chiens, on n’a plus le temps de s’en occuper...
- Comment tu le sais, tu connais ma maitresse ?
- Non, mais ton histoire, c’est celle de tous les chiens et chats du refuge, petit. Les mêmes excuses alors que nous, le jardin on s’en moque si la famille continue à nous aimer.
- Elle m’aime toujours. Tu ne peux pas comprendre. Moi je suis un chien de race, j’ai coûté très cher et... elle va venir me chercher.
- Regarde autour de toi, des chiens de race, il y en a plein ici et tu sais quoi, t’es pareil à nous. Moi aussi je suis racé, moi aussi j’ai connu la douceur d’un foyer, les caresses, les promenades et les câlins et un jour, pfeu, plus rien, plus de famille. Elle m’a amené ici et je ne l’ai jamais revu. C’était il y a si longtemps...
- La mienne va revenir. T’es méchant et vieux, c’est tout. Il faut juste qu’elle entende mes cris...
- Vieux oui, méchant non. Et ne hurle plus petit ; elle t’a déjà oublié ; elle est passé à autre chose. Rappelle-toi hier, elle était triste mais elle a refusé tes câlins et n’a jamais croisé ton regard. Elle savait ce qu’elle faisait. Elle était décidée à t’abandonner mais elle avait honte ; c’est tout. Les humains sont ainsi, quand une « chose » ne les intéresse plus, il la jette tout simplement.
- Je ne suis pas une chose !
- C’est pourtant ce que nous sommes devenus pour les humains, des choses, des biens de consommation, qu’ils achètent et délaissent au gré de leur envie quand ils ne les martyrisent pas ou ne les laissent pas sur l’autoroute... Un peu comme un vieux panier passé de mode, un déchet dont on se débarrasse.
- Tais toi, tu ne sais pas ce que tu dis.
- Malheureusement si, petit. Je sais !
- Moi je veux rentrer chez moi, sortir d’ici...
- Tu pourras si tu accueilles gentiment une nouvelle famille, si tu te montre calme et posé, oui, tu as une petite chance de sortir d’ici...
- Je ne veux pas d’une nouvelle famille, je veux la mienne. Je me cacherais dans mon panier, je grognerais...
- Alors, tu ne partiras jamais.
- Arrête de hurler, tu deviens pénible le nouveau. Il ne comprend pas, Prof. Laisse-le ; il verra par lui-même, grogna la Diane, sa voisine de box.
- Il est encore jeune, il a une petite chance, lui. Il ne faut pas la laisser filer.
- Pfeu, quelle chance ? A hurler comme ça, à crapahuter contre le grillage de son box, les adoptants ne lèveront pas les yeux sur lui. Et quand la place sera chère, quand les entrées seront plus importantes que les sorties, il regrettera de ne pas t’avoir écouté.
- Il se calmera. Bon, je vous laisse, il y en a deux autres qui m’attendent. Salut petit et réfléchi bien à ce que tu veux. Une nouvelle famille, c’est important.
- Jamais. Tu m’entends, jamais !
- Il est parti, petit.
- Pourquoi, il a dit ça, Diane ? Ça veut dire quoi ?
- Les chiens qui sont ici depuis très longtemps, sont les premiers à être endormis pour l’éternité. Ils ne sortent jamais de l’infirmerie sur leurs pattes mais dans un sac noir.
- Tu racontes des bêtises ! Et lui, alors ? Il est encore là.
- Prof, oui, il est encore là pour expliquer aux nouveaux venus ce qu’ils risquent s’ils ne sont pas adoptés, il en a vu tant passer. Et il sait... il est le prochain sur la liste noire.
Arden56